Le livre
Si l’histoire est fictive, les notes écrites en script dans le roman sont réelles. C’est à partir de ces brouillons que l’histoire s’est mise en place. Il était hors de question, pour moi, de construire un énième livre sur une expérience personnelle. Les rayons des bibliothèques en regorgent déjà. Le personnage de Franck, inspecteur de police, s’est manifesté dès le début comme une évidence, le quartier où il vit également. Je n’avais plus rien à faire qu’à suivre ce personnage, son quotidien, ses rencontres…
PS : Les naufragés, pourquoi ?
Je crois qu’on est tous, plus ou moins, des gueules cassées de la vie. Il y a toujours un moment, une période pendant laquelle on se retrouve comme un naufragé, seul et perdu sur le bord d’un rivage… Mais après ?
Quatrième de couverture
« C’est à l’hôpital psychiatrique. Une infirmière est retrouvée morte dans une cellule d’isolement, pieds et mains liés. Rapidement, la peur envahit l’hôpital. Dans la lignée d’Edgar Allan Poe, cette fiction propose une intrigue troublante qu’on ne saurait élucider avant la toute fin. Une donneuse de médicaments qui meurt dans des circonstances douteuses est toujours un bon moyen pour ressusciter le spectre des asiles psychiatriques. »
La vieille pendule à balancier, suspendue au-dessus des étagères sur lesquelles s’alignaient les bouteilles d’alcool, affichait 23 h 30. « Paul, s’il te plaît, monte le son du transistor ou éteins-le carrément. Je comprends rien à leur charabia. » Le patron commençait à ranger les chaises en les retournant sur les tables : « Tu commences à être sourd Franck, tu devrais consulter. De toute façon, je préfère le fermer, pour entendre toujours les mêmes conneries, ça ne sert à rien. » L’inspecteur venait de vider sa deuxième chope de bière.
– C’était quoi à la radio ? demanda-t-il au patron du troquet.
– Un débat pour les prochaines élections, c’est une rediffusion de l’émission de 20 h 30. Elles auront lieu dans quatre mois et ça fait un an qu’on nous les brise avec ça. T’as qu’à voir ! On n’en a pas fini.
– Moi je n’écoute plus rien ; tout ça, j’ai mis une croix d’ssus. Les discours de ces types-là, ça ne m’intéresse plus. Je sais même pas qui se présente et à quoi.
– La mairie Franck, c’est un ancien premier adjoint de la mairie de Paris. Il est devenu député, c’est déjà son deuxième mandat. Il veut absolument le siège à la mairie. Mais tu parles que l’autre s’accroche sérieusement. Seulement, Chaumond, le député en question, l’ambitieux, le teigneux, a bien l’intention de l’éjecter. C’est un dur à cuire et un arriviste, celui-là. Je ne l’aime pas du tout. Je vais bientôt fermer Franck, je finis de passer un coup de serpillière sur le carrelage et je boucle.
L’inspecteur, la chope de bière à la main, s’avança vers la fenêtre à petits carreaux. Il avala d’un coup sec le restant du contenu du verre.
– OK ! Pour les élections, ils se passeront de moi. La vache ! Il tombe encore des putains de cordes dehors. Allez, sers-m’en un dernier et je file.
– Alors vite fait Franck, qu’est-ce qui t’arrive, dure journée ?
– Ne m’en parle pas. Si tu savais comme le monde est rempli de pourriture, d’ailleurs, je crois qu’il vaut mieux que tu ne saches pas.
– T’as raison, Franck. Chacun son boulot, moi c’est mon troquet. J’ai presque fini de nettoyer, bois ton verre, après je baisse le rideau. Ce soir, je n’ai pas eu grand monde, deux ou trois pèlerins, pas de quoi mettre le feu au bar. J’en profite pour fermer un peu plus tôt.
– Tu parles, avec ce temps merdique, les gens préfèrent rester au chaud et au sec, devant leur foutue télé.
– Tu devrais faire pareil, Franck, rentre te reposer, t’as une sale gueule.
– Ma gueule, ma gueule, j’m’en balance un peu de ma gueule, c’est juste que les journées sont longues et j’ai du mal à dormir. C’est surtout le soir, tu comprends ? La nuit, les idées arrivent, elles virent et revirent dans la tête.
Paul, le patron du petit troquet, était une vieille connaissance de l’inspecteur Franck Joyeux. Il devait tenir ce bistrot de quartier depuis une vingtaine d’années, peut-être même plus. Franck qui habitait à deux pas du café, à peine à une quinzaine de numéros de rue, y avait pris ses habitudes. Cela faisait exactement dix-huit ans qu’il avait emménagé dans un vieil immeuble de la même rue…
[…]Franck poussa les portes de la salle en premier. Lui non plus n’aimait guère les lieux, c’était froid, métallique, avec cette odeur de mort qui vous glaçait le sang et en faisait vomir plus d’un. Que pouvait-il y avoir d’agréable à regarder découper des corps, des organes en lamelles pour les analyser, à respirer des estomacs, des intestins, à regarder des crânes découpés et des tranches de cervelle. Non, tout cela était répugnant. Il n’éprouvait plus, comme à ses débuts, de vilaines nausées et c’était vraiment par obligations professionnelles qu’il se retrouvait pour la énième fois en présence d’un corps nu, sur une table en acier inoxydable, glacée.
– Franck, on vient juste de commencer, on a retiré le dessus de la boîte crânienne, il n’y a aucune trace d’hématome, pas de fracture même minime. T’as vu dans le couloir, la petite dame ? questionna Antoine Lejeune.
– Oui, enfin, il me semble, j’ai pas fait trop attention.
– C’est la mère de la victime.
– Mais qu’est-ce qu’elle fait là ? Franck ne cacha pas sa surprise.
– Dès qu’elle a su que sa fille était ici, elle est venue directement et ne veut pas partir. Bon, je poursuis.
Franck se tourna vers Louis :
– Va la voir, il ne faut pas la laisser seule, elle va sans doute te parler de sa fille.
– Franck, laissez-moi y aller, demanda Samuel.
Franck regarda Samuel quelques secondes :
– D’accord, je crois qu’ça te fera du bien de prendre un peu l’air dans le couloir. Reste avec elle le temps qu’on en finisse ici. J’viendrai la voir après.
Gertrude se vidait peu à peu de son corps, de ses organes, de ses entrailles, de son sang. Tout était passé en revue, mis en flacons, étiqueté, numéroté, commenté par le légiste au fur et à mesure de la procédure et des observations.
– Putain, un homme ne devrait jamais avoir à assister à un tel spectacle, soupirait Louis en se tournant vers le légiste.
– J’opterais pour un empoisonnement, une intoxication, les analyses confirmeront ou pas mon diagnostic, mais il y a peu de chances que je me trompe.
Le travail achevé, toutes les plaies béantes furent cousues avec soin, les vides comblés et les orifices obstrués. Gertrude fut lavée, habillée et retrouva un peu de dignité et de féminité. C’est Lacouture qui s’occupait de ces dernières opérations délicates. Lacouture était un surnom, tout le monde l’appelait ainsi, tellement il préparait les corps avec une attention et bienveillance, ce qui forçait le respect. Depuis de nombreuses années, Léonard Boucher, de son vrai nom, en avait vu des corps, des corps en morceaux, en lambeaux, en quartiers, démembrés et découpés, brûlés. Cependant, chaque cadavre qui passait entre ses mains avait droit à des soins dignes d’un institut de beauté. « Si j’étais son père, son frère ou son fils, j’aimerais qu’on fasse ainsi pour moi, alors j’essaie de les rendre présentables pour leurs familles. »[…]
[…]Lemoine venait d’obtenir l’autorisation de Jacques Sauvage pour procéder à la perquisition dans la chambre de la suspecte à l’hôpital. Il était 11 h 30, à peine une heure après le débriefing. « Louis, Samuel, voici l’autorisation, faites votre boulot, personne à l’hôpital n’est au courant. Le directeur n’est pas plus informé que le personnel. Que ce soit pour les résultats ADN et la perquisition, évidemment. Allez-y tout de suite, à l’heure du déjeuner tout le monde sera au réfectoire, c’est préférable. » Louis n’avait rien ajouté, il mit la feuille dans la poche intérieure de son blouson et tourna aussitôt les talons. « On y va immédiatement, ce sera vite fait, une chambre d’hôpital, il n’y en a pas pour des heures. Samuel, prends le volant. » Franck avait donné son avis sur cette démarche, qu’il jugeait stupide, mais c’était la procédure. Il avait admis qu’une fouille de la chambre s’imposait à cause des résultats des tests ADN, mais restait convaincu de l’innocence de Béatrice. « Tu parles ! avait-il dit à Bertrand, elle n’arrive même pas à manger seule, alors, organiser une scène de crime aussi parfaite, c’est du délire ! » Claude, qui était de service avec Amélie était venu ouvrir la porte aux deux inspecteurs adjoints.
– Une perquisition ! Mais c’est complètement débile, enfin, ça ne rime à rien. Vous avez un mandat ? s’exclama Claude, agacé avec une pointe de colère.
– Désolé, mais les mandats, c’est en Amérique. En France, on a besoin d’une autorisation. C’est la procédure, amenez-nous jusqu’à sa chambre, s’il vous plaît. Je suppose qu’elle est en train de manger. Louis commençait à s’avancer dans le couloir, suivi de près par Samuel.
– Elle mange, oui, heureusement, sinon elle piquerait une crise épouvantable dont vous seriez tenus pour seuls responsables.
– Alors, dépêchons-nous, allons-y.
Claude accéléra le pas. La chambre était tout au bout du couloir, après la pièce de la douche et celle des consultations du docteur Malaise. Elle était un peu isolée, ce qui évitait aux autres patients d’entendre les crises régulières de Béatrice. Louis et Samuel entrèrent dans la pièce dont la forte odeur embarrassa Samuel.
– Putain, mais c’est jamais ouvert ici.[…]